par Laurent Voisin
La sous-famille des Parnassinae (environ 15 espèces dans l’ouest paléarctique), avec celles des Papilioninae et Baroniinae, appartient à la famille des Papilionidae (Latreille, 1802). Wikipedia apporte la précision suivante sur cette sous-famille de rhopalocères : « L’ancêtre des Parnassinae le plus récent a été trouvé sur le plateau iranien et dans le centre de l’Asie. Leur diversification a eu lieu voici 42 à 65 millions d’années lors de la collision de l’Inde avec l’Eurasie ». Parmi eux, on trouve les apollons, les thaïs, et des genres au pattern intermédiaire « faux apollons ». La sous-famille comprend les genres :
Allancastria Bryk, 1934.
Archon Hübner, 1822.
Bhutanitis Atkinson, 1873.
Hypermnestra Ménétries, 1846.
Luehdorfia Crüger, 1878.
Parnassius Latreille, 1804.
Sericinus Westwood, 1851.
Zerynthia Ochsenheimer, 1816.
On notera que quelques auteurs considèrent Allancastria comme un synonyme de Zerynthia. Nous ne trancherons pas ce débat ici !
En début de saison, cinq espèces de Parnassinae (genres Allancastria, Archon, Hypermnestra et Zerynthia) sont potentiellement présentes dans les zones montagneuses ou semi-désertiques de l’immense pays iranien.
• Zerynthia [Allancastria] deyrollei deyrollei (Oberthür, 1869), que l’on rencontre également en Asie mineure, Turquie, Proche Orient, Irak ;
• Zerynthia [Allancastria] louristana louristana (Le Cerf, 1908), endémique de la chaîne des Zagros ;
• Hypermnestra helios helios (Nickerl, 1846), dont l’aire de répartition est vaste (Kazakhstan, Ouzbekistan, Tajikistan, Turkmenistan, Afghanistan, Pakistan, provinces de l’extrême nord et de l’extrême sud de l’Iran) ;
• Archon apollinaris apollinaris (Staudinger, 1892), fréquentant aussi l’Irak, et le Sud-Est de la Turquie ;
• Archon bostanchii bostanchii (De Freina & Naderi, 2003), seulement connu de sa localité type, sur quelques kilomètres carrés (Pol-e-Dokhtar).
Suite aux informations concordantes de spécialistes de l’espèce et collecteurs locaux, tout laisse à penser que cette dernière espèce a malheureusement disparu il y a quelques années, victime d’une pression de collecte fatale sur un site unique et très limité. Nous n’avons pas mené de recherche spécifique pour le confirmer, d’autant que les dates du court séjour dans la région étaient quelque peu tardives pour avoir une chance de rencontrer l’imago.
Hypermnestra helios est une espèce des déserts et semi-déserts, dont le barycentre de l’aire de répartition est situé à l’Est de l’Iran (Turkménistan, Afghanistan). J’ai tenté ma chance pour rencontrer la sous-espèce persica Rothschild, 1918 au nord-ouest de Téhéran (région de Karaj, Mahdahst) sur la base de références récentes mentionnées par Tshikolovets dans son ouvrage de 2014. Mais les effets de la sècheresse de cet hiver sur la végétation (complètement grillée en ce printemps) et la dégradation des premiers biotopes visités ont rapidement eu raison de mes espoirs. Je décidais donc de faire route vers le Sud. Une seconde prospection dans la province de Bushehr (à 1000 km des premiers sites, pour la sous-espèce buschirica Bang-Haas, 1938), près de la rivière Dalaki, se révéla tout aussi infructueuse, malgré la découverte de plantes-hôtes potentielles (du genre Zygophyllum). La date de prospection était vraisemblablement trop tardive pour voir l’adulte à cette altitude et latitude. Le mois de mars aurait été sans doute plus favorable.
Ainsi, j’ai consacré ma semaine de recherches sur trois espèces : les deux Zerynthia et Archon apollinaris, qui ont le bon goût de fréquenter les mêmes types de biotopes car leurs chenilles sont inféodées aux mêmes aristoloches : en Iran, A. olivieri et A. bottae essentiellement (F. Carbonell, comm. pers.). De plus leurs émergences sont approximativement synchrones, du moins elles présentent des chevauchements. Il me restait donc à découvrir des biotopes non détruits à aristoloches, aux tranches altitudinales ad hoc pour se trouver dans la période d’émergence, et sur des reliefs arrosés cet hiver…
Cela fait pas mal de conditions à réunir pour rencontrer ces trois espèces, dans des régions immenses seulement traversées par de grandes routes, avec des villes éloignées et une offre de logement limitée.
Heureusement, la logistique fut parfaitement assurée par mon guide/chauffeur iranien, par ailleurs détenteur d’un PhD en entomologie, anglophone et très bon connaisseur du pays (site : insectsofiran.ir, contact : insectofiran@gmail.com). Il s’est révélé un facteur déterminant du succès de mes investigations, conducteur infatigable et guide motivé par la découverte des papillons.
En première approche, mes prospections se sont appuyées sur les localités citées dans l’ouvrage de 2014 pré-cité. Cependant, ses auteurs abordent peu le sujet des exigences écologiques des espèces, et la description des habitats reste vague : collines caillouteuses ou steppes ou pentes ou buissons ou prairies, parfois près des zones cultivées… Bref, rien qui soit très discriminant dans la chaîne des Zagros.
Par ailleurs, le passage des troupeaux de moutons et chèvres appauvrit considérablement la diversité végétale comme dans bien des pays, sans parler ici des grandes routes et autres infrastructures en construction qui provoquent des destructions irréversibles.
Ainsi une bonne part des sites historiques se révélèrent plus ou moins définitivement dégradés. Enfin, mon guide m’a signalé que depuis dix ans environ, la météo est particulièrement sèche en Iran, et selon lui de façon très inhabituelle, particulièrement dans le sud du pays.
Malgré ce contexte peu propice, grâce à l’implication remarquable d’Ahmad, j’ai eu la chance de rencontrer les trois Parnassinae convoités.
Région de Boyer-Ahmad, à proximité de la ville de Shiraz
Zerynthia louristana offre dans les provinces de Fars et de Bushehr ses populations les plus méridionales. Leur statut de sous-espèce est contesté par les auteurs récents : nous ne le retiendrons pas. Un biotope constitué de collines en partie cultivées pour la vigne ou les amandiers s’est révélé très favorable. L’insecte y était abondant, accompagné d’une dizaine d’autres espèces de rhopalocères. Un seul plant d’aristoche fut découvert (A. bottae, Jaub. & Sp.), au pied d’un muret de pierres sèches, un des habitats habituels des aristoloches.
Hesperiidae
Pieridae
Lycaenidae
Nymphalidae
Papilionidae – Parnassinae : Zerynthia louristana louristana (Le Cerf, 1908)
Paysages iraniens entre Boyer-Ahmad et Kermanshah
Les photos sont présentées le long de cet itinéraire en allant du sud au nord.
À proximité de Kermanshah
Après quelques tentatives infructueuses, un biotope s’avère favorable, à l’altitude 1800 m : un vaste plateau entouré de collines caillouteuses parcourues par des troupeaux de moutons et de chèvres. Il est en partie occupé par de petits champs de céréales avec des parcelles en jachère ou semées de légumineuses (vraisemblablement pour enrichir périodiquement le sol en azote). Aristolochia bottae est très présente, en bordure des parcelles cultivées et même en plein milieu. La plante semble très favorisée par ce système agraire qui manifestement fonctionne sans pesticide. Curieusement, elle paraît absente, en tout cas invisible, dans les zones a priori plus naturelles et plus variées. Dès 9 h du matin, Z. deyrollei vole avec nombreux mâles et quelques femelles. Une heure plus tard, A. appolinaris le rejoint, ainsi que Z. louristana. Ce dernier est un peu plus grand que A. deyrollei et d’un blanc plus jaunâtre. Il ne se pose presque jamais sur le site, contrairement à deyrollei butinant souvent. Les trois espèces sont sympatriques et presque synchrones sur ce biotope. On imagine que les larves consomment les mêmes aristoloches. Des femelles d’A. appolinaris sont observées en ponte : elles ne déposent qu’un seul œuf jaune vif sur la face inférieure d’une grande feuille, et cela ne dure que quelques secondes. Ces femelles montrent une belle variabilité individuelle d’aspect : importance des taches noires et rouges orangées, fond des postérieures plus ou moins sombre, strié, orangé.
À noter que ces trois Parnassinae sont quasiment les seules espèces de papillons observées sur ce biotope !
Zerynthia deyrollei deyrollei (Oberthür 1869)
Archon apollinaris apollinaris (Staudinger 1892)
D’autres rencontres
Conclusion
L’iran n’est pas le pays le plus simple pour une expédition de butterfly watching, mais les solutions existent et sont efficaces. C’est un pays très sûr mais très vaste et il faut consentir à faire pas mal de kilomètres pour arriver à ses fins. Sans surprise, en cette saison (avril) et à ces altitudes, on rencontre peu d’espèces, mais la beauté des Parnassinae récompense les efforts consentis. Comme dans bien d’autres pays de la région ouest paléarctique, le développement des activités humaines est globalement néfaste aux papillons comme à toutes les biocénoses. Pour l’instant, subsistent des niches écologiques associées à une agriculture peu intensive, auxquelles les Papilionidae sont bien adaptés. Existent aussi des zones naturelles encore préservées. Il reste à espérer que les aires de conservation serviront de refuge à long terme : des parcs bien protégés existent en Iran. En mars prochain, le Sud Est du pays (Bandar Abass) pourrait permettre d’observer Hypermnestra helios ssp. bushirica Bang-Haas, 1938.
Remerciements
Ahmad, de insectsofiran, pour la logistique
F. Carbonell pour ses précieux conseils
Jean-Marc de l’ALF pour sa relecture bienveillante et la mise en ligne
J.-F. Charmeux pour son aide à l’identification
Références
• Carbonell F. (1996), « Contribution à la connaissance du genre Allancastria Bryk (1934) », Linneana Belgica, Part. XV, n°6.
• Carbonell F. et Michel F. (2007), « Une espèce jumelle méconnue du genre Archon Hübner, 1822 », Bulletin de la Société entomologique de France, 112 (2) :141-15.
• Dapporto, L., (2010), « Speciation in Mediterranean refugia and post-glacial expansion of Zerynthia polyxena (Lepidotera, Papilionidae) ». J. Zool. Syst. Evol. Res., 48: 229-237.
• De Freina J. J. & Naderi A. (2004), « Beschreibung einer neuen Unterart von Archon apollinaris (Staudinger, [1892]) aus dem südwestlichen Zentral-Zagros, bostanchii subspec. nov., mit ergänzenden Angaben zur Gesamtverbreitung der Art (Lepidoptera: Papilionidae) ) ». Atalanta, 34 (3/4) :429-434.
• Frankenbach et al. (2012), Butterflies of the World, Part. 36 Papilionidae XIV Hypermnestra, Luehdorfiini, Zerynthiini.
• Frankenbach et al. (2012), Butterflies of the World, Supplement 20 Parnassiinae (Partim), Luehdorfiini, Zerynthiini.
• Nazari, V., Sperling, F.A.H. (2007), « Mitochondrial DNA divergence and phylogeography in western Palaearctic Parnassiinae (Lepidoptera:Papilionidae): how many species are there? », Insect Syst. Evol. 38:121–138.
• Tshikolovets V. et al. (2014), Butterflies of Iran and Iraq.
Sur la progression de P. demoleus, voir :
• Une rapide progression de Papilio demoleus à Sulawesi
X. Mérit, J.-M. Gayman, V. Mérit & L. Manil : Papilio demoleus – une expansion mondiale ; version pdf : RLF_n_42_P._demoleus_final
De L. Voisin, sur les Parnassinae et sur ce site internet, voir :
• Les Zerynthia en Europe occidentale
• Le genre Allancastria dans les îles grecques
• Parnassinae d’Anatolie orientale
• Allancastria cerisy à Bodrum (Turquie)
• Archon apollinus (Antalya, Turquie)
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