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Par Laurent Voisin
Archon apollinus apollinus (HERBST, 1798), sorte de chimère entre apollon et thaïs, attisait ma curiosité depuis longtemps. J’ai voulu aller l’observer ce printemps : c’est chose faite avec une expédition éclair de deux jours à Antalya, sur la côte méditerranéenne turque, au pied de la chaine montagneuse du Taurus avec un site bien connu pour cette espèce à proximité de la ville : le Parc national de Termessos, par ailleurs remarquable pour ses vestiges archéologiques en pleine nature.
Des contributeurs de l’excellent site internet Adameros Telebek Turkiye (AdaMerOs) m’ont donné de précieuses indications pour trouver les biotopes favorables à cette date. De plus, j’ai été superbement accueilli toute une journée par le Dr Olcay Yegin, fin connaisseur des rhopalocères turcs, et grand spécialiste de la région d’Antalya en particulier.
Ces conditions optimales m’ont permis de vous rapporter quelques photos et commentaires.
Le 19 mars, j’ai parcouru les alentours du village de Bayatbademleri, niché entre des collines calcaires couvertes de garrigue à 800 m d’altitude environ, avec des petits champs cultivés et de l’élevage ovin et caprin. Ce village est proche de Termessos, à proximité de la grande route qui part d’Antalya pour Korkuteli puis Izmir. À déplorer tout autour un débroussaillage total et un travail du sol pour des plantations de pins sur de grandes surfaces, très perturbants pour le milieu, du moins à court terme.
Au cours d’une journée complète ne furent observés que deux individus d’Archon, un mâle trop vite emporté par le vent puis une femelle plus conciliante avec le photographe, les deux se posant de proche en proche au sol dans un champ, sans jamais butiner. Pas vu de plant d’aristoloche…
Le 20 mars, mon guide expert m’a fait explorer les biotopes intéressants du parc national. À 900m d’altitude, autour du parking au pied du site archéologique, de nombreux individus très frais d’Archon volaient, pour l’essentiel des mâles. Nous avons eu la chance d’assister à un accouplement. On voit rarement un papillon butiner bien qu’il y ait déjà des fleurs disponibles. La variabilité entre individus est assez importante. Le milieu n’est que très peu perturbé par un débroussaillage mécanique modéré. La fréquentation touristique (pédestre au-dessus du parking) a, semble-t-il, peu d’impact sur le milieu. Pas non plus d’aristoloche repérée sur ce site et donc pas de ponte observée.
Le site archéologique de Termessos et ses riches vestiges, de 900 à 1200 m d’altitude. À l’ouest d’Antalya (Turquie), 20 mars 2014. Photo : L. Voisin
Ci-après trois femelles d’ A. apollinus, d’aspect assez variable, notamment pour la couleur des postérieures et des taches allant du rouge vif à l’orange clair. La première, vue au village de Bayatbademleri et les deux suivantes à Termessos :
Voir des femelles d’autres sous espèces avec des ornementations encore plus spectaculaires sur le site Adameroskelebek, par exemple A. appolinus tracieus (BURESH, 1915).
Quatre mâles d’A. apollinus :
Quatre images du couple observé ;
Et enfin deux mâles en vol :
D’autres espèces intéressantes sont vues sur le site en ce début de saison, notamment :
• Gonepteryx farinosa (ZELLER, 1847), impossible à distinguer en vol de G. rhamni. Une fois posé, on constate que la courbe de l’aile antérieure est totalement convexe (sans la légère inflexion qui caractérise l’aile de rhamni). Il semble également un peu plus petit (les deux se côtoient). En outre, selon Olcay, G. cleopatra fréquente plus tard le même biotope. Ci-dessous une femelle :
• Pontia chloridice (HÜBNER, 1813) (altitude 700 m), peu fréquent d’après Olcay :
• Euchloe ausonia (HÜBNER, 1804) (altitude 500m) :
• Libythea celtis (LAICHARTING, 1782) (toutes altitudes) :
En revanche, Allancastria cerisyi et Lycaena ottomana, recherchés sur des biotopes connus à plus basse altitude (500 – 600 m), n’étaient pas encore sortis. À cette date, il eut fallu les rechercher au niveau de la mer. Mon guide me signale également la présence de Papilio alexanor eitschebergeri en juin. Les plantes hôtes de la famille des Apiaceae sont effectivement bien présentes sur les talus de route.
Ce site facile d’accès et protégé est donc particulièrement riche et mérite une visite. Cela donne envie de retourner dans ce pays enthousiasmant pour voir d’autre espèces et bénéficier de surcroît de l’assistance dévouée des collègues turcs.
Parmi les Papilionidae printaniers, pour lesquels j’avoue un faible, Archon apollinaris se rencontre plus à l’est, Allancastria deyrollei plus au centre du pays, et Allancastria caucasica dans quelques régions au bord de la mer Noire. Enfin le plus inaccessible de la famille, Parnassius nordmanni est à rechercher vers 3000 m d’altitude à proximité du Petit Caucase : de belles expéditions en perspective.
Un grand merci au Dr Olcay Yegin pour son accueil chaleureux et aux autres membres d’Adameros Telebek Turkiye qui m’ont aidé, et particulièrement à Frédéric Carbonell pour ses indications aussi rapides que détaillées (et comme à l’accoutumée merci à Jean-Marc Gayman pour son aimable relecture et mise en forme).
Bibliographie :
• Die tagfalter der Türkey, par Hesselbarth et al., 1995 (trois gros volumes avec une impressionnante collection de spécimens représentés en recto et verso, cartes précises et liste détaillée des références historiques de capture).
• A field guide to the Butterflies of Turkey, par Ahmet Baytas, 2007 (guide compact avec bonnes photos de presque toutes les espèces, et répartition par régions).
• Butterflies of Europe and the Mediterranean area, par V. Tshikolovets, 2011 (intéressant pour l’aire couverte mais avec des cartes de répartition des sous espèces pas très lisibles et des photos parfois trop petites à mon goût).
• Site internet : http://www.adamerkelebek.org (excellentes photos in natura des 450 Rhopalocères turcs, par une communauté nombreuse de photographes répartis sur toutes les régions du pays : vaut le détour!).
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Passionnant, merci beaucoup Laurent !