(Cliquez sur cartes et photos pour un meilleur effet !)
Les Zerynthia (Papilionidae) en Europe occidentale : trois espèces en images
par Laurent Voisin
Une espèce nouvelle : Zerynthia cassandra (GEYER, [1828])
Depuis 2010 et la publication des études de L. DAPPORTO, le taxon cassandra (GEYER, [1828]) de la diane est considéré par la plupart des auteurs comme une espèce distincte.
Voici un extrait du résumé de son rapport d’études :
«Zerynthia polyxena est une espèce philopatrique, disséminée en petites populations ayant rarement colonisé les zones de montagne. Ces caractéristiques ont été probablement provoquées par des périodes d’isolement répété au cours du Quaternaire qui pourraient avoir favorisé une diversification de l’espèce. Actuellement, deux études basées conjointement sur des données morphologiques et génétiques suggèrent l’existence de deux principales lignées de populations en Europe, ayant pour zone de contact le nord de l’Italie. Dans la présente étude, j’ai observé la morphométrie géométrique des organes génitaux mâles et démontré (1) que deux morpho-types existent en Europe qui se répartissent grosso modo de part et d’autre du Po ; (2) les deux lignées ont probablement survécu aux glaciations respectivement en Italie et dans les Balkans ; puis la ligné des Balkans s’est étendue vers l’Europe centrale et de l’est ; (3) aucune population hybridogène ne semble exister dans la zone de contact et, dans une localité au moins, les deux lignées vivant en sympatrie sans individus intermédiaires. Ces résultats suggèrent que deux espèces jumelles de Zerynthia existent en Europe. En conséquence, Papilio cassandra Geyer, 1828 est rétabli, le statut révisé donne Zerynthia cassandra, à laquelle les populations de Zerynthia du sud de l’Italie et du Po correspondent.»
Voir pour les détails l’étude traduite en français : ONEM – Enquête Diane, Proserpine, Aristoloches. Et l’article en version originale : When the Rule Becomes the Exception. No Evidence of Gene Flow between Two Zerynthia Cryptic Butterflies Suggests the Emergence of a New Model Group
Un schéma valant un long discours, voici le scénario historique de l’auteur :
J’ai choisi d’observer ce taxon en Toscane, donc a priori sans risque de confusion. Le néotype a été décrit de Prato, à proximité, au sud de Florence. Un autre biotope est connu à Livourne (les collines vertes à l’est de la ville ci-dessous), où je me suis rendu le 11 avril (à deux kilomètres de la gare centrale, cela facilite la logistique!).
Le site est situé au pied des collines. Un ruisseau draine la petite vallée, et des jardins d’agrément et potagers occupent le fond du vallon, créant un milieu ouvert avec une grande diversité végétale. De part et d’autre, une végétation de garrigue et de forêt de pins est traversée de pistes et sentiers. De nombreux plants d’aristoloche (vraisemblablement à feuilles rondes : Aristolochia rotunda L., 1753) peuplent ces formations méditerranéennes. Une douzaine d’espèces de rhopalocères de toutes familles fréquentent le site, mais rien de remarquable (sauf un machaon très petit).
À 9h30, le premier individu de Zerynthia est repéré, avec le comportement habituel du genre : il se pose de proche en proche au sol, parfois sur une fleur, en bordure de la garrigue, et semble se réchauffer au soleil.
Quelques centaines de mètres plus loin, dans un pré qui offre davantage de fleurs (bien que sans aristoloche), s’activent de nombreux individus. Les composées jaunes attirent les dianes, toutefois leur préférence va clairement aux inflorescences bleues-violettes des brunelles (Prunella sp., famille des Lamiaceae) sur lesquelles des exemplaires des deux sexes butinent en permanence.
La plupart des individus me paraissent plus sombres (dessins noirs plus épais) que les dianes rencontrées en France (voir les photos dans la seconde partie). Toutefois l’aspect est très semblable. Une capture serait nécessaire pour observer les genitalia des mâles, dont la forme spécifique est le seul élément tangible du phénotype pour distinguer cassandra. À noter que ce critère, comme celui des petites différences détectées dans le génome, ne semblent pas déterminants aux yeux de certains spécialistes des Parnassinae (Frédéric Carbonell, communication personnelle).
Zerynthia cassandra : d’autres photos
Les deux autres Zerynthia en Ardèche
Les photos suivantes illustrent le phénotype de polyxena tel qu’on l’observe en France : ici dans le sud du département de l’Ardèche au cours du week-end de Pâques, au nord de Vallon-Pont-d’Arc dans la vallée de l’Ibie. Ce biotope humide présente l’intérêt de voir cohabiter la diane avec la proserpine qui est abondante à proximité. Les deux espèces sont vues simultanément à quelques mètres, ce qui permet d’imaginer une hybridation naturelle. En revanche, je n’ai pas vu polyxena remonter sur les biotopes secs à rumina. Ci-après illustrations de ces deux milieux bien différents : des prés de bas-fonds à joncs, carex et graminées, en bordures de ruisseaux, avec notamment l’aristoloche à feuilles rondes, d’une part, et yeuseraies (chênaies à chêne vert et chêne pubescent), avec aristoloche pistoloche, d’autre part. À noter que cette dernière est abondante en lisière débroussaillée des chénaies / garrigues, y compris aménagées en campings ! (photo prise au camping l’Ibie à Vignier, commune de Lagorce).
En photo ci-dessous, une troisième aristoloche également observée à proximité : l’aristoloche clématite (Aristolochia clematitis L.), aux fleurs jaunes, susceptible de nourrir également les chenilles de Zerynthia.
Zerynthia polyxena
Zerynthia rumina
Observations environnementales
L’activité humaine (débroussaillement lié à la prévention des incendies de forêt par les particuliers ou par les collectivités, dans le cadre d’aménagements raisonnés de l’espace boisé) me semble donc assez favorable à Z. rumina. Les aristoloches prospèrent dans cette ambiance forestière semi-ouverte (comme après certains incendies). En revanche, la sauvegarde de Z. polyxena me semble beaucoup plus problématique, et l’efficacité de son statut de protection plus inquiétante.
Espèce ou sous-espèce, la belle italienne est en tout cas très plaisante à photographier, comme la plupart des Papilionidae européens, et occupe des biotopes très accessibles. Celui de Livourne ne parait pas du tout menacé, contrairement à beaucoup de zones humides du sud de la France qui sont, l’une après l’autre, « assainies », suscitant irrémédiablement la disparition de l’aristoloche à feuilles rondes et son hôte.
Quelques autres espèces
En compagnie de nos Zerynthia, volaient aussi quelques autres espèces dont voici quelques clichés.
Références
• Voir en complément les superbes photos (Sonia Rubinowicz et Thierry Laugier) d’accouplement et de ponte de la diane sur notre page Zerynthia polyxena.
• Vadim Tshikolovets : Butterflies of Europe and the Mediterranean Area
• Dapporto Leonardo (2010), «Speciation in Mediterranean refugia and post-glacial expansion of Zerynthia polyxena (Lepidotera, Papilionidae)». Journal of Zoological Systematics and Evolutionary Research, août 2010, 48 (3) : 229–237. Version complète en pdf.
Une fois de plus merci à J-M. Gayman pour ses conseils et pour son travail de relecture et mise en forme, qui rend possible la mise en ligne de ces mini reportages.
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