Le » Parque Nacional Sangay » en Équateur
Jean-Claude PETIT
(Cliquer sur les photos pour un meilleur effet !)
Une tache blanche au milieu de l’Équateur
En 2008, sur une petite route des Andes, dans un coin excellent pour les papillons, à la sortie d’un virage, une silhouette se jette dans les fourrés pour cacher son filet à papillons. Je m’arrête, nous nous reconnaissons, c’est un ami, Professeur dans une grande Université, entomologiste de renom – et que vous connaissez tous – mais toujours obligé de se cacher comme un gamin fautif lorsqu’il pratique son art !
Cacher le filet dès qu’on entend une voiture, attendre à l’aéroport en se disant : « pourvu qu’ils n’ouvrent pas la valise! » font partie des charmes de l’entomologie. Après y avoir goûté pendant de longues années, j’ai eu envie de devenir « officiel », un « cientìfico » aidé par les gardes-parc et non plus poursuivi par eux.
La Colombie m’aurait plu énormément, mais c’est quand même un pays difficile ! Et j’allais en Équateur depuis deux ans. On y trouve plusieurs Parcs Nationaux de montagne, tous très intéressants, mais le hasard a fait que je suis entré en contact avec l’un des responsables du Parc Sangay. Et le Sangay présente beaucoup d’intérêt !
C’est un grand parc, 5000 km2, la taille d’un département français, pratiquement le double avec sa zone-tampon. Il va de moins de 1000 mètres à plus de 5000 – quatre sommets dépassent les 5000 mètres – et est situé pratiquement au centre de l’Équateur.
Je m’y étais déjà bien promené, et j’avais cherché des informations dans les livres et sur Internet. Pour les papillons, c’est un parc très mal connu. Dans les bases de données, on voit très peu de spécimens provenant de cette zone, et, sur la carte des points de collecte en Équateur, publiée par WILLMOTT et HALL, il y a une tache blanche en plein milieu du pays.
Ce n’est pas étonnant, il n’y a pratiquement aucune voie de pénétration !
Mais il y avait aussi des indices prometteurs à la lecture de certains livres sur les papillons, particulièrement les Perisama d’ATTAL & CROSSON DU CORMIER, et les Heliconius de HOLZINGER.
Si l’on regarde les cartes figurant dans ces deux ouvrages, on voit que souvent, et c’est là le point important, le Sangay apparaît comme la limite entre deux sous-espèces ; accessoirement on voit que le Parc Sangay lui-même est bien souvent vide.
Si l’on a une sous-espèce au Nord, et une seconde sous-espèce 150 kilomètres plus au Sud, qu’y a-t-il entre les deux ? une frontière nette ? un recouvrement ? des formes intermédiaires ? Et comment se pourrait-il que si peu d’espèces vivent dans ce Parc, lequel a été très peu dégradé par l’activité humaine? Est-il possible qu’Heliconius aoede, H. doris, H. xanthocles ne soient pas présents ? Est-il possible qu’il n’y ait que sept espèces de Perisama dans le centre du Parc ?
Difficultés
Autant de bonnes raisons pour proposer au Ministère de faire l’inventaire des espèces diurnes du Sangay. Personne n’aurait parié sur le succès de la démarche, mais avec bien des paperasses, et certainement de la chance et de l’aide, le permis – annuel – a été accordé, et a, depuis, été renouvelé quatre fois.
Lorsqu’un spécialiste des papillons présente les résultats d’un travail sur le terrain, une part importante de l’exposé a toujours trait à la méthodologie employée. Pour le Sangay, la méthode est simple, aller dans les endroits que l’on peut atteindre, et, si possible, quand il ne pleut pas !
Il n’y a qu’une route qui traverse le Parc, d’Est en Ouest, en fait une piste assez mauvaise, facilement dangereuse lorsqu’il pleut. Trois autres pistes pénètrent par l’Ouest, mais seulement dans le « pàramo », à plus de 3000 mètres. Dans la forêt – magnifique – il n’y a aucun autre accès voiture, et pratiquement pas de sentiers.
Et si la végétation est superbe, c’est qu’il pleut tout le temps, surtout dans le pàramo, où nous n’avons que très rarement pu chasser !
Aujourd’hui, après l’équivalent de huit/neuf mois de présence, nous en sommes à 750 taxons (rhopalocères seulement), ce qui est peu. Il faut avouer deux faiblesses :
• Un manque de motivation pour les « petites mites », ce qui fait que petits Satyridae et petits Hesperidae sont sous-représentés,
• Un goût marqué pour la photo, ce qui, ces premières années, nous a fait privilégier l’étage bas, et nous commençons seulement à sortir les pièges et les grands filets.
Il faut sans doute aussi remarquer que, sans grand soleil, on voit peu de Lycènes, alors qu’il doit y en avoir un grand nombre d’espèces.
Trois étages
On peut, en simplifiant beaucoup, découper le Parc en trois zones altitudinales, sachant que, en dessous de 3000 mètres, on est obligatoirement sur le versant Est des Andes.
• 3000 mètres et plus : c’est la zone du pàramo, jusqu’à 4500 mètres, là où commence la neige.
• De 1200 à 2500 m : c’est la forêt de montagne ou forêt des nuages.
• Moins de 1200 mètres : c’est le début de l’Amazonie.
3000 mètres et plus : le pàramo
Le sol est une gigantesque éponge couverte de touffes d’herbe jaune, nombreux lacs et marécages. Il peut, même en plein jour, y faire très froid. Le paysage est magnifique, surtout près de deux des volcans, l’Altar, au cône explosé, et le Sangay, parfait volcan de carte postale, et bien sûr là où il y a des lacs.
C’est une zone que nous n’avons pas assez visitée, essentiellement à cause du temps, mais il faut que nous l’explorions. Jusqu’à présent nous avons collecté surtout dans la partie Sud. C’est bien sûr une zone de Pieridae, d’Hesperidae, de petits Satyridae et de quelques Vanesses.
Dans cette zone, deux papillons qui, je crois, mériteraient un travail de recherche.
• Le premier, Colias euxanthe alticola GODMAN & SALVIN, 1891. Car je suis persuadé que nous avons bien attrapé Colias euxanthe alticola ! Ce papillon est littéralement tombé dans l’oubli depuis sa découverte, en 1891, par WHYMPER. Joseph VERHULST n’en parle pratiquement pas et n’en montre aucune photo. Or, Colias euxanthe alticola est abondant dans le Sud du Sangay. À propos de cette espèce, je me pose plusieurs questions :
– Chez ces papillons, les mâles diffèrent de C. euxanthe, ils ressemblent beaucoup plus à C. lesbia FABRICIUS, 1775, et c’est d’ailleurs ce qu’avait écrit WHYMPER à l’époque.
– Les femelles, quant à elles, ne ressemblent à aucun Colias figurant dans le VERHULST.
– Dans le Sangay, là où vole ce papillon, vole également une petite sous-espèce (env. 30 mm) de C. lesbia, sans doute C. lesbia meieri BERGER, 1983. Un peu plus au Nord, à l’extrême limite de la zone de répartition connue pour cette espèce, dans les mêmes altitudes (3200-3500 m), volent des spécimens de C. lesbia beaucoup plus grands (40 mm).
Se pourrait-il que ce petit Colias alticola soit une espèce et non une sous-espèce d’euxanthe ? Qu’en est-il de ces deux populations différentes de C. lesbia ? Voici, entre autres, un programme de travail.
• Le second, une Vanesse. Dans les Andes, ne vole qu’une seule espèce de Vanesse de type « cardui » (sur l’AP, quatre petites ocelles, les deux premières étant légèrement plus grandes, alors que chez les « américaines » les ocelles 1 et 4 sont très grandes, et les 2 et 3, résiduelles), c’est Vanessa carye HÜBNER, 1812. C’est un petit papillon, l’AA mesure à peu près 20 mm.
Nous avons attrapé et photographié des Vanesses, proches de V. carye, mais sensiblement plus grandes (25 à 27 mm), qui ressemblent beaucoup à V. anabella FIELD, 1971, qui vole dans l’Ouest de l’Amérique du Nord. Il y a là une piste qui pourrait être intéressante à suivre ?
De 1200 à 2500 m, la forêt de montagne, parfois la forêt des nuages
C’est la magnifique forêt du versant oriental des Andes, superbe, en pente abrupte, et pratiquement sans accès. De nombreuses parties sont répertoriées comme « bosque nuboso », mais je dois dire que, dans le Sangay, je n’ai jamais trouvé cette impression d’univers totalement humide, brumeux, féérique, comme, par exemple, à Inca Chaca en Bolivie.
Confluent de deux rios à l’Ouest de la route Macas – Zamora, environ 5 km au Sud de Mendez
Photo : Jean-Claude Petit
C’est le domaine de la faune andine typique, une très grande diversité, et quelques belles espèces avec une prédominance des Satyridae dans la partie haute. On y trouve parfois Elzunia humboldt cassandrina SRNKA, 1884, en abondance, j’ai pu y photographier une femelle de Papilio cacicus upanensis TALBOT, 1929. Plutôt que parler des papillons, il convient ici d’évoquer les « coins ».
Par exemple, cette petite « quebrada » où, sur une surface de 200 m2 au maximum, j’ai déjà capturé et photographié plus de 120 espèces ! Et de belles choses, Elzunia humboldt, Papilio cacicus, treize espèces de Perisama, Catasticta radiata KOLLAR, 1850, excessivement rare, une sous-espèce (?) de Catasticta semiramis LUCAS, 1852, trois formes d’Ithomia lagusa HEWITSON, 1856. Un bonheur ! Ailleurs, le long d’une piste, volent toutes les formes possibles d’Heliconius timareta HEWITSON, 1867.
Catastica apaturina apaturina BUTLER, 1901, mâle. Photo : Jean-Claude Petit
Du point de vue de la systématique, les spécimens capturés à cette altitude, et dans le centre du Parc, pourraient :
• faire douter de la validité de quelques sous-espèces de Perisama :
– mola et paula, de P. dorbignyi GUÉRIN- MÉNEVILLE, 1844.
– hazarma et davidii, de P. hazarma HEWITSON, 1869.
– ambatensis et phenix, de P. ambatensis OBERTHÜR, 1916.
• faire croire à l’existence d’une forme métisse entre Podotricha telesiphe telesiphe NIEPELT, 1915, et P. t. tithraustes SALVIN, 1871.
À moins de 1200 mètres : le début de l’Amazonie
Ce sont les limites Est du Parc, le pays des Shuars, plus connus autrefois sous le nom de Jivaros. Ici, les meilleures zones sont près des fleuves. Il n’est sans doute pas faux de penser que les espèces d’Amazonie utilisent les fleuves comme voie de pénétration vers l’Ouest.
Ici aussi il y a des « coins » extraordinaires : mon second coin à 120 espèces. Encore faudrait-il peut-être en parler au passé : situé dans la zone-tampon, une famille s’y est installée et a coupé beaucoup d’arbres pour planter des bananiers. Ce sera un bon test de déterminer les espèces qui se maintiennent et celles qui disparaissent.
De belles espèces ! Là, j’ai pu photographier un vieux spécimen de Panacea chalcotea BATES, 1868, qui est une bête vraiment rare. Dans un autre coin, secret, Athesis acrisione HEWITSON, 1869, est franchement abondant.
Aujourd’hui, 750 taxons, en 2010, sauf accident, en utilisant pièges et grands filets, j’espère bien arriver au millier. Compte tenu des trois mille espèces différentes estimées, c’est dire ce qui reste à faire ! Toute aide sera plus que bienvenue !
Photos de Rhopalocères du Parc Sangay (Jean-Claude Petit)
Les photos sont présentées selon les trois niveaux d’altitude : l’étage du pàramo, celui de la forêt des brumes et celui de l’Amazonie.
L’étage du pàramo
L’étage de la forêt des brumes (versant amazonien des Andes)
Pyrrhopyge (Chalypyge) zereda hygieia (C. & R. FELDER, 1867).
Autour : Siseme aristoteles LATREILLE, 1813, f. minerva FELDER (Riodinidae). Photo : J.-C. Petit
L’Amazonie
Bravo pour la présentation et les belles photos.
Superbe celle des Elzunia ! J’en avais quelques uns pris en Colombie en 1974.
Ah ! Cette quebrada ! On ne peut pas trouver mieux.
Bonne continuation pour l’ouest du pays.