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«Le contexte se prête à ce que je fasse mention de mes propres articles scientifiques, et en particulier de mes trois préférés : «Notes sur le Plebejinae Néotropical» (Psyche, vol. 52, n° 1-2 et 3-4, 1945), «Une nouvelle espèce de Cyclargus Nabokov» (The Entomologist, décembre 1948), et «Les espèces néarctiques du genre Lycaeides Hübner» (Bulletin Mus. Comp. Zool., Harvard, 1949), année après laquelle il ne m’a plus paru physiquement possible de concilier la recherche scientifique, les belles-lettres et Lolita (car elle était en route – une mise au monde douloureuse, un bébé difficile).»
V. Nabokov, Autres rivages. Autobiographie, Gallimard, coll. Folio, Paris, 1991, p. 83.
Lycènes : le peuplement des Amériques selon Nabokov
Vladimir Nabokov (Saint-Pétersbourg, 1899 – Montreux, 1977) est connu du grand public pour ses romans dont le plus célèbre, Lolita, est publié en 1955. Tout au long de sa vie, en menant ses activités littéraires, il s’est passionné pour l’entomologie et plus spécifiquement pour les lycènes. Filet à papillons en main, il a parcouru les terres familiales avant 1917, la Crimée en 1919, l’Europe occidentale pendant les années vingt et trente, les États-Unis après 1940. «Mes plaisirs sont les plus intenses que puisse connaître l’homme : écrire et chasser le papillon» a-t-il écrit (ibid.)
Aux États-Unis, pendant les années quarante et le début de la décennie suivante, Nabokov devient un entomologiste professionnel. Après avoir enseigné à Cornell, il devient curateur de la collection de lépidoptères du Musée de zoologie comparative à l’Université Harvard. Il étudie alors les Polyommatini. Chaque été, en collectant des spécimens, il traverse les lieux qu’il évoquera plus tard dans Lolita. Ses publications entomologiques présentent la description de nombreuses espèces et une méthode pour les distinguer.
Ces recherches, axées largement sur les plantes nourricières des Lycaenidae, le conduisent en 1945 à formuler sa théorie sur la colonisation des Amériques néarctique et néotropicale par les Polyommatini en cinq migrations successives, depuis l’Asie via le détroit de Behring jusqu’au Chili («Notes sur le Plebejinae Néotropical», Psyche, vol. 52, n° 1-2 et 3-4, 1945). Nabokov admet que sa théorie peut sembler absurde à une époque où nombre de spécialistes supposent que le peuplement lépidoptérique des Amériques s’était effectué au travers du Pacifique en utilisant les archipels comme relais. Selon le romancier-entomologiste, il était plus logique que les papillons aient migré par le «corridor» du détroit. Les premiers seraient arrivés voici plus de 10 millions d’années – alors que le détroit ne s’était pas encore creusé – venant de l’Asie tropicale pour la gagner la zone néotropicale. Les quatre vagues suivantes ont survolé le détroit et mobilisé des espèces paléarctiques qui se sont installées en zone néarctique. De fait, pour la plupart des entomologistes qui sont ses contemporains, Nabokov, plutôt qu’un véritable scientifique est un grand écrivain passionné par les papillons. C’est surtout après sa mort que l’on rassemblera des observations sur les lycènes américains conformes aux prédictions évolutives de Nabokov.
Les cinq migrations inscrites dans les gènes
Naomi Pierce, l’actuelle conservatrice de la section Lepidoptères au Harvard Museum of Comparative Zoology, est impressionnée par «l’extraordinaire intuition biologique» de Nabokov, intuition qui s’est précisée au cours d’un laborieux et minutieux travail au microscope sur les genitalia et grâce à une extrême rigueur dans le classement des groupes de lycènes (N. Pierce citée dans : «Lolita» Author Nabokov Was Right About Butterflies). Elle décide de la vérifier avec les outils de la génétique moléculaire. Ce qui comporte une bonne dose d’ironie : Nabokov était plus que réservé vis-à-vis de la génétique ! Les mutations ponctuelles renseignent sur la distance évolutive qui sépare les espèces et permettent de construire les arborescences phylogéniques montrant quand les ancêtres se sont diversifiés pour créer les espèces modernes. Le projet lancé, il faudra des années pour collecter des spécimens de l’Alaska au Chili, rassembler les données botaniques et écologiques actuelles, affiner les études paléobotaniques et paléoclimatiques (Sur Naomi Pierce, voir la page du Harvard Magazine : «A Life with Lycaenids. Naomi Pierce goes beyond Nabokov».)
Les résultats ont été publiés le 20 Janvier dans les Actes de la Société royale de Londres : Nabokov avait raison et l’arbre phylogénétique confirme les cinq vagues migratrices !
L’étude «Phylogénie et Paléoécologie des Polyommatini» est publiée dans les Actes de la Royal Society of London (où l’on trouvera une version pdf). Rappelons que N. Pierce, avec M. F. Braby, a révisé la phylogénie du genre Delias : BRABY M.F. & PIERCE N.E. – Systematics, biogeography and diversification of the Indo-Australian genus Delias Hübner (Lepidoptera : Pieridae) : phylogenetic evidence supports an “out-of-Australia” origin. Systematic Entomology (2007), 32, 2-25. La version pdf de cette étude est accessible sur cette page.
Mathieu Joron, lépidoptériste au MNHN, cité par Le Monde, affirme : «Cette démarche de reconstruction est intéressante et solide. Elle montre que ces espèces ne s’adaptent guère au changement climatique, mais qu’elles suivent l’évolution géographique des niches auxquelles elles sont inféodées.» (Hervé Morin, «Nabokov, maître des papillons», Le Monde, samedi 5 février 2011, p. 16).
Nabokov lépidoptériste
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Passionnant !
Le livre « Nabokov blues » était très intéressant sur les travaux de Nabokov.
Un grand homme !
Hommage à « ses chers petits bleus » comme il appelait affectueusement les Polyommatinae qui l’ont passionné tout au long de sa vie. À commencer par cette première description publiée quelque temps après son arrivée à New York se rapportant à un spécimen capturé au dessus de Menton lors de son séjour dans le sud de la France. Il nomme cette espèce P. cormion qui s’avérera en définitive être l’hybride entre P. coridon et P. (Meleageria) daphnis. Un grand auteur et un grand lepidoptérologiste.