Huit jours à Tambopata (août 2004)
12°43’ de latitude Sud et 69°10’ de longitude W ; altitude moyenne de 204 m pour la Reserva Nacional Tambopata. Nous sommes en climat équatorial, au sud-ouest du Pérou, près de la frontière bolivienne, dans la province du Madre de Dios. Depuis Lima ou Cuzco, par avion, on rejoint facilement Puerto Maldonado (40 000 habitants aujourd’hui) créé par des orpailleurs au confluent du Madre de Dios et du rio Tambopata. Par la route, depuis Cuzco, c’est beaucoup plus long et fatigant
(Cliquer sur cartes et photos pour un meilleur effet)
La Reserva Nacional Tambopata (RNT) & El Parque Nacional Bahuaja-Sonene (PNBS)
Créés en 1990, la RNT et le PNBS sont centrés autour du rio Tambopata, affluent du Madre de Dios. Ce dernier, après un passage en Bolivie, devient au Brésil le Madeira et rejoint l’Amazone entre Manaos et Santarem. L’objectif fixé par les autorités péruviennes étant de travailler « en asociación con la gente local para conservar las especies de animales y plantas de la región y promover la consolidación y la gestión participativa del Parque Nacional Bahuaja Sonene y la Reserva Nacional Tambopata. » (site internet du RNT)
Les écosystèmes sont surtout formés de forêt primaire, inondée ou non inondée (RNT), mais aussi dans le PNBS de forêt d’altitude et de savanes. À l’ouest de Puerto Maldonado, un autre grand parc, d’accès moins aisé : le Manu, où flore et faune sont également remarquables.
La Reserva Nacional Tambopata (RNT) protège 274 690 hectares de forêt ombrophile. Les biologistes vantent sa richesse faunistique caractérisée par la considérable variété d’espèces végétales et animales. On y compte 103 espèces d’amphibiens et autant de reptiles, 575 d’oiseaux et 169 de mammifères, plus de 1 200 de papillons diurnes (site internet de la RNT). On y trouve notamment perroquets et aras, l’Aigle harpie, la loutre géante.
Son territoire n’est pas fermé aux activités humaines : quelques établissements touristiques (catégorie supérieure) font dans l’« écotourisme ». Les Amérindiens de l’ethnie Ese’ejas, dont le village principal est El Infierno, sont engagés dans une économie de « développement durable » à partir des ressources naturelles (concessions de châtaignes, par exemple).
El Parque Nacional Bahuaja-Sonene (PNBS) est strictement protégé : l’accès n’y est autorisé que pour les scientifiques. Il s’étend sur plus d’un million d’hectares d’écosystèmes « uniques au monde » : prairies inondables tropicales (las Pampas del Heath) où vivent le loup à crinière et le cerf des marais ; forêts des nuages jusqu’à moins de 1000 mètres d’altitude (los cerros del Távara) et la vallée cachée du río Candamo.
Autour du Rio Tambopata, aux eaux claires, l’opulence biologique reste largement à recenser. À titre d’exemple : 151 espèces d’Odonates ont été collectées entre juin 1977 et juin 1984, alors que les habitats humides – grands et petits lacs, marais, rivières – n’ont été que survolés. Pour les spécialistes, la liste comptera bientôt 180 à 200 espèces, concrétisant l’hypothèse de G. LAMAS en 1981 : « la plus grande diversité d’Odonates au monde ».
Le cours inférieur de la Tambopata
La lépidofaune (Rhopalocères)
Selon la biologiste Paola AYBAR, « Hasta hoy, Madre de Dios es considerado como el lugar mas diverso en mariposas en todo el mundo, con 1300 especies reportadas para Pakitza, provincia de Manu, 1234 para Tambopata (Explorer’s Inn Reserve) ».
Gerardo LAMAS, auteur de plusieurs ouvrages sur les lépidoptères du Pérou et de plusieurs études sur la zone de Tambopata (voir bibliographie), retrace les étapes de la découverte de la lépidofaune :
De novembre 1979 à l’été 1980, 492 espèces de rhopalocères sont recensées dans un rayon de 2 km autour du Tambopata Research Center (TRC). La collecte s’effectue surtout le long des sentiers, à l’aide de filets mais aussi de pièges appâtés à la banane et de « pièges malais ». Les scientifiques estiment qu’un millier d’autres (au moins) demeurent à découvrir, notamment dans la canopée. Ils soulignent le caractère surprenant du petit nombre de Papilionidae et l’absence de Dismorphiinae.
En 1981 et 1982, une seconde exploration donne 373 espèces nouvelles, après « 400 heures de collecte intense par plusieurs chasseurs ».
Avec la campagne de 1984 qui porte le nombre d’espèces à 1122, G. LAMAS modifie « ses estimations concernant le nombre total d’espèces de papillons diurnes présentes dans la zone de Tambopata et considère que le chiffre peut très bien atteindre 1200 espèces, au lieu des 1039 envisagées en 1981. ». Son rapport (LAMAS,1985) présente la description d’une espèce et de onze sous-espèces nouvelles et étudie plus spécifiquement 151 lépidoptères (taxonomie, fréquence, possibles PHL, habitudes des larves et des adultes, etc.). En voici quelques données :
• Papilionidae : sur les 60 espèces environ dénombrées au Pérou, 25 seulement sont rencontrées autour du Tambopata : cette faible diversité surprend G. LAMAS qui estime probable la présence d’une quinzaine d’autres taxa. Néanmoins, dix années plus tard, le même comptage demeure.
• Pieridae : 25 espèces trouvées parmi les 200 piérides péruviennes. Le genre Dismorphiinae est alors (1984) considéré comme absent de Tambopata : quatre espèces seulement figureront dans le rapport de 1994.
• Nymphalidae : sur six espèces de la sous-famille Danainae connues du Pérou, trois se manifestent à Tambopata. Pas de changement en 1994. Des deux cents espèces péruviennes d’Ithomiinae, une quarantaine volent dans la RNT dont 7 ssp. et une espèce jusqu’alors non décrites. Concernant les Morphinae, la probabilité de découvrir 5 autres espèces, outre les 11 recensées (18 admises pour le Pérou en 1985), ne s’est pas concrétisée (toujours onze espèces en 1994).
Le nouveau rapport de 1994 porte le nombre de Rhopalocères à 1234, ainsi répartis :
G. LAMAS : Tambopata (Explorer’s Inn, 1994) |
Nombre de taxa | % |
Acraeini | 1 | 0,08 % |
Heliconiinae | 23 | 1,86 % |
Nymphalinae | 160 | 12,90 % |
Brassolinae | 21 | 1,70 % |
Satyrinae | 82 | 6,64 % |
Danainae | 3 | 0,24 % |
Ithomiinae | 41 | 3,32 % |
Libythinae | 1 | 0,08 % |
Riodinidae | 238 | 19,28 % |
Lycaenidae | 169 | 13,64 % |
Pieridae | 25 | 2,02 % |
Papilionidae | 24 | 1,94 % |
Hesperiidae | 436 | 35,33 % |
La richesse faunistique de Tambopata s’apprécie en comparaison avec d’autres stations réputées d’Amérique équatoriale. Debra L. MURRAY, après avoir recensé, entre 1990 et 1993, les rhopalocères (811 espèces) de Jatun Sacha (bassin supérieur du rio Napo, en Équateur) dresse un tableau pour confronter ses propres données avec :
– celles recueillies à Pakitza (ROBBINS et alii, 1996), station biologique de la zone réservée du Parc du Manu (Pérou, Madre de Dios) où les conditions écologiques sont voisines de Jatun Sacha : 1300 espèces.
– celles de Cacaulandia (AUSTIN & EMMEL, 1996), ranch privé au Rondonia (Brésil) : écosystème mêlant forêt intacte et zones perturbées : 843 espèces en 1990 (1500 estimées).
Nous reproduisons ce tableau (MURRAY, 2000) en y ajoutant les données de G. LAMAS pour Tambopata :
Debra L. MURRAY : Taxonomic Compositions of Butterfly Families at Jatun Sacha, |
||||||||
Jatun Sacha (Ecuador) MURRAY (1993) |
Cacaulandia Rondonia (Brasil) AUSTIN & EMMEL (1996) |
Pakitza Manu (Peru) ROBBINS et alii (1996) |
Tambopata Madre de Dios (Peru) LAMAS (1994) |
|||||
Nombre d’espèces | 811 | 843 | 1300 | 1224 | ||||
Famille | Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % |
Hesperiidae | 198 | 25 % | 231 | 27 % | 442 | 34 % | 436 | 35 % |
Papilionidae | 26 | 3 % | 18 | 2 % | 26 | 2 % | 24 | 2 % |
Pieridae | 27 | 3 % | 29 | 4 % | 26 | 2 % | 25 | 2 % |
Nymphalidae | 307 | 38 % | 275 | 33 % | 364 | 28 % | 332 | 27 % |
Riodinidae | 194 | 24 % | 203 | 24 % | 260 | 20 % | 238 | 19 % |
Lycaenidae | 59 | 7 % | 87 | 10 % | 182 | 14 % | 169 | 14 % |
Totaux | 811 | 100 % | 843 | 100 % | 1300 | 100 % | 1224 | 100 % |
Une semaine le long du Rio Tambopata
C’est pendant la seconde quinzaine d’août – au moment de la saison sèche – que j’ai séjourné une semaine le long du Rio Tambopata. Le voyage commence en voiture, pour une quarantaine de minutes, de Puerto Maldonado à El Infierno où l’on embarque sur une pirogue à moteur pour gagner en trois heures la Posada Amazonas (Tres Chimbadas). Le lendemain, après l’observation des oiseaux hoazin (Opisthocomus hoazin) et des loutres géantes du lac, ce sont neuf heures de pirogue pour gagner le Tambopata Research Center. Les quelques touristes n’y restent en général qu’un jour ou deux, le temps d’observer, avant le lever du soleil, les magnifiques aras sur la falaise située un peu en amont. Bien d’autres activités y sont proposées : l’observation nocturne des amphibiens, les promenades en forêt, le « birdwatching » et la baignade dans la rivière. Le lodge est complètement cerné par la forêt et l’intimité avec la nature y est d’autant plus forte que les chambres, sans cloisons vers l’extérieur, sont régulièrement visitées par des agoutis, des opossums ou des singes (il faut enfermer aliments et objets !). Tandis que, parfois, un gros serpent passe sous le plancher, entre les pilotis !
La « chasse aux papillons » est bien sûr interdite dans la TNR et, a fortiori, dans le PNBS. Pour y approcher au mieux la lépidofaune, j’avais eu l’heureuse idée de demander à Rainforest Expeditions (voir la rubrique « Où aller ? ») l’assistance quotidienne d’un guide entomologiste. Ce dernier, diplômé en biologie de l’Université Ricardo Palma, connaissait tous les sentiers et biotopes autour du TRC et collectait quelques spécimens pour sa recherche sur les Arctiidae. Il savait aussi me conduire vers les fruits ou les troncs suintant de sève convoités par les rhopalocères. Pendant plusieurs jours, nous avons parcouru ces sentiers, visitant divers biotopes forestiers (plus ou moins humides) en délaissant quelque peu les milieux ouverts (comme les rives de la Tambopata où viennent « mud-puddler » de véritables nuages ou congrégations de papillons). Ce choix a déséquilibré la liste de mes rencontres en augmentant le poids relatif des Satyridæ (nombreux Taygetis, par exemple) et des Ithomidæ aux dépens de celui des Papilionidae, des Pieridae et des Lycaenidae.
Pendant ces quelques jours, sans recourir aux pièges, j’ai rencontré 86 espèces (plus une trentaine qu’il me reste à identifier, d’après des diapositives souvent médiocres prises dans la pénombre du sous-bois). Pour cet échantillonnage restreint, la répartition taxonomique s’avère la suivante :
Tambopata Août 2004 |
Espèces identifiées | % |
Papilionidae | 3 | 3,52 % |
Pieridae | 9 | 10,58 % |
Ithomiinae | 10 | 11,76 % |
Heliconiinae | 4 | 4,70 % |
Morphinae | 1 | 1,1 % |
Brassolinae | 2 | 2,35 % |
Nymphalinae | 35 | 41,1 % |
Satyrinae | 15 | 17,6 % |
Acraeidae | 1 | 1,1 % |
Lycaenidae | 1 | 1,1 % |
Riodinidae | 5 | 5,88 % |
Hesperiidae | ignorés | – |
86 | 100 % |
Références bibliographiques :
• LAMAS, Gerardo, « La fauna de mariposas de la Reserva de Tambopata, Madre de Dios, Peru (Lepidoptera, Papilionoidea y Hesperioidea) », Revista de la Sociedad Mexicana de Lepidopterologia 6(2):23–40, 1981.
• LAMAS, Gerardo, « Los Papilionoidea (Lepidoptera) de la Zona Reservada Tambopata, Madre de Dios, Peru. I. : Papilionidae, Pieridae y Nymphalidae (en parte) », Revista Peruana de Entomologia 27:59–73, 1985.
• LAMAS, Gerardo, « List of Butterflies from Tambopata (Explorer’s Inn Reserve) (1234 taxa) in The Tambopata-Candamo Reserved Zone of Southeastern Peru : A Biological Assessment », novembre 1994 (accessible en pdf)
• LAMAS, Gerardo, Las Mariposas de Machu Picchu, Museo de Historia Natural, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, Lima, Peru, 2003.
• MURRAY, Debra L. (Department of Entomology, Louisiana State University, Baton Rouge, LA 70803), « A Survey of the Butterfly Fauna of Jatun Sacha, Ecuador (Lepidoptera : Hesperioidea and Papilionoidea) », Journal of Research on the Lepidoptera 35:42–60, 1996 (2000).
• RAGUSO, Robert A. et GLOSTER, Oliver, « Preliminary Checklist and Field Observations of the Butterflies of the Maquipucuna Field Station (Pichincha Province, Ecuador) », Journal of Research on the Lepidoptera 32 : 135-161, 1993
• Un superbe livre : MacQuarrie, Kim & Bärtschi, André, Where the Andes meet the Amazon. Peru and Bolivia’s Bahuaja-Sonene and Madidi National Parks. Tambopata, Távara, Candamo, Heath, Madidi and Tuichi Rivers, Jordi Blassi, Barcelone, 2001, 336 p.
Webographie
• Texte de Debra L. Murray « A survey of the Butterfly Fauna of Jatun Sacha … » en pdf accessible sur cette page (http://www.doylegroup.harvard.edu/~carlo/JRL/35/PDF/35-042.pdf.)
• Reserva Nacional de Tambopata-Candamo (Wikipedia)
• Une Étude détaillée de la biodiversité de cette région : www.parkswatch.org/parkprofiles/wp-content/pdf/tabs_eng.pdf (format .pdf)
• Rainforest Expeditions
• Tambopata Research Center
• Le site du photographe Jim Caldwell