Texte et photos : Louis Diringer, Président de l’ALF
Marianne Elias, directrice de recherche CNRS à l’Institut de Systématique et Évolution de la Biodiversité et au Muséum national d’Histoire naturelle, a donné le mardi 18 janvier 2022 au théâtre de la Reine Blanche à Paris (18e) une conférence dont le thème était « Couleurs énigmatiques des papillons et envolées textiles ».
Alternant entre découvertes des naturalistes du XIXè siècle en Amazonie, mécanisme de sélection naturelle, expériences de biologistes pour tenter de résoudre les énigmes des couleurs des papillons et évocation de la beauté de ces insectes par deux danseuses, Sophie Ménissier et Karine Salfati, Marianne Elias a su captiver une large assemblée d’adultes et d’enfants qui n’a pas hésité à poser de nombreuses questions tant la conférencière a su rendre accessible, un sujet pourtant complexe.
L’expérience qu’elle a conduite avec d’autres biologistes en Équateur durant quatre mois a été un des moments forts de sa conférence. Elle y a principalement étudié les ithomiines (Nymphalidae : Ithomiini) comme groupe modèle. Ces papillons qui forment une tribu présente dans les forêts humides d’Amazonie participent au mimétisme müllerien qui caractérise des espèces qui coexistent et présentent des colorations similaires agissant comme un signal d’alerte pour les prédateurs. En effet, ces espèces synthétisent dans leur organisme des substances toxiques qui les rendent non-comestibles.
Marianne Elias a remarqué que ces papillons formaient localement des cercles mimétiques de plusieurs espèces différentes qui partagent les mêmes colorations d’avertissement. Dans une même localité, les prédateurs ne sont pas identiques selon qu’ils occupent le sous-bois ou la canopée. Sous la pression des différentes espèces de prédateurs, la coloration des papillons ne converge pas nécessairement et produit des cercles mimétiques par micro-habitat. Une ségrégation des différentes espèces d’ithomiines a été ainsi observée entre le sous-bois et l’étage canopéen.
Marianne Elias a ensuite abordé l’énigme des espèces aux ailes transparentes en citant l’exemple de Hymenitis enigma (Haensch, 1905), évoquant les travaux menés pour tenter de comprendre l’avantage que pouvait leur conférer cette forme d’invisibilité. Une expérience a été conduite en Finlande où l’on a présenté à des mésanges des vers de farine ornés d’ailes d’ithomiines à coloration avertissante et d’ailes d’ithomiines transparentes. Les mésanges ont été principalement attirées par les vers de farine ornés d’ailes colorées. Ce n’est pas surprenant si l’on considère que les mésanges n’ont jamais été confrontées à ces papillons et qu’elles ont pu être attirées par les ailes colorées plus que par les ailes transparentes. Elle a donc procédé à une nouvelle expérience en nourrissant au Pérou des poussins avec un mélange auquel a été ajoutée, de manière différenciée, une bouillie d’ailes d’ithomiines aux couleurs avertissantes et d’ailes d’ithomiines transparentes. La nourriture contenant la bouillie d’ailes d’ithomiines transparentes a été plus rejetée par les poussins probablement à cause de son mauvais goût. En fait, l’analyse chimique a révélé que les ithomiines à ailes transparentes étaient plus toxiques que les espèces aux ailes aux couleurs avertissantes.
Cette conférence d’un peu plus d’une heure, entrecoupée de séquences dansées évoquant sur des musiques d’Amérique latine la grâce des papillons, était remarquable. Joli clin d’œil en fin de conférence, Marianne Elias a présenté une cage d’élevage contenant quelques papillons néotropicaux vivants, ce qui a eu pour effet de ravir les enfants et pas seulement ….
Pour ceux que le sujet intéresse, il est possible de retrouver une partie des travaux de Marianne Elias en suivant ces liens :
https://www.bio-conferences.org/articles/bioconf/pdf/2015/01/bioconf-origins2015_00008.pdf
https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2018.2769