(Cliquez sur les photos pour un meilleur effet !)
En seconde partie de la page, les photos de 2012
Laurent Voisin habite en Savoie au bord du lac du Bourget. De 2005 à 2008, il a dirigé l’Office National des Forêts des Bouches du Rhône et du Vaucluse. Chaque année, une fois par an, il revient observer Papilio alexanor au-dessus d’Apt. Depuis peu adhérent de l’ALF, il se présente comme un lépidoptériste amateur (« depuis l’enfance et par intermittence en fonction de ma vie professionnelle »), passionné de photographie : « Très intéressé par la Guyane – trois séjours dont un de 6 mois il y a 15 ans, c’est là que j’ai commencé à faire des photos. Cette année, mon objectif c’était les Parnassius en Savoie. L’année prochaine j’essaierai de compléter avec la quasi-espèce gazeli dont j’ai repéré un biotope dans le Parc du Mercantour. Sinon, je rêve d’aller voir voler hospiton et saharae … et le rêve ultime, la Papouasie et ses Ornithoptères ».
Un biotope de Papilio alexanor ESPER, 1799
Ce texte n’a pas la moindre vocation scientifique : il s’agit du témoignage d’un béotien, à la lumière de quelques visites annuelles (2006 à 2011) d’observation dans le département de Vaucluse. Cette expérience suscite quelques interrogations à propos d’une espèce emblématique, Papilio alexanor alexanor ESPER, 1799 et de sa conservation.
La plante nourricière
Un biotope remarquable a retenu mon attention. Il est situé dans les monts de Vaucluse (altitude approximative 1000 m), au nord d’Apt. Les imagos d’alexanor, mâles et femelles, éclosent en nombre entre le 25 juin et le 5 juillet chaque année. On les observe aussi de façon plus diffuse à quelques kilomètres à la ronde.
La plante nourricière est ici Ptychotis saxifraga LORET & BARRANDON, 1876, une apiacée très aisément identifiable bien que discrète (nom vernaculaire : Ptychotis saxifrage ou Ptychotis à feuilles variées). Sa présence est, bien sûr, indispensable à celle du papillon, mais pas du tout suffisante. Je l’ai recensée en abondance sur le Mont Ventoux et le Grand Luberon, où l’insecte a été maintes fois signalé. Pour autant, je n’ai pas réussi à croiser alexanor à proximité, ni l’imago ni les chenilles, malgré plusieurs prospections à des dates a priori favorables, compte tenu de l’altitude et du stade de développement des ombellifères. J’ai toujours vu les femelles pondre sur les extrémités des ombelles juste avant leur épanouissement.
Ces « non observations » corroborent l’idée d’une présence très volatile de l’espèce, inféodée à une plante dont l’apparition est elle aussi en général très fluctuante. Le Ptychotis est pionnier sur des petits éboulis, tels que talus instables et bords de pistes forestières. Mais il est vite concurrencé par d’autres plantes et peut disparaître, tout en allant coloniser d’autres milieux « neufs » à proximité. De toute évidence, le papillon ne parvient pas toujours à le suivre, bien que l’on rencontre, dans cette région très ventée des femelles isolées loin de leurs lieux probables d’éclosion.
Un biotope remarquable
Le biotope repéré constitue l’exemple inverse, avec une apparente stabilité qui lui confère à mes yeux une valeur de réservoir, d’où l’idée de vous le présenter (photo 1).
Il est constitué d’une mosaïque d’éboulis calcaires grossiers très fleuris et de petits champs de lavande. En début d’été, les lavandins, chardons, centranthes et diverses apiacées sont en pleine floraison et très attractives pour les insectes (photos 3, 4, 5). Le ptychotis (photo 2) colonise les champs cultivés entre les rangées de lavande. Favorisé par le travail du sol, il est là plus abondant que dans les friches alentour. Les femelles d’alexanor viennent pondre leurs œufs un par un sur l’extrémité des frêles inflorescences encore vertes (photos 6, 7, 8 ) qu’elles recherchent de proche en proche, en s’interrompant régulièrement pour s’alimenter. Elles sont souvent courtisées par un mâle butinant à proximité, et il s’en suit une parade nuptiale spectaculaire. Les deux individus s’élèvent à la verticale jusqu’à 5 ou 10 mètres tout en tournoyant à toute allure l’un autour de l’autre, et le vent les emporte très vite hors de portée de l’objectif du paparazzi dépité…
Je n’ai pu assister à un accouplement. Je suppose qu’il conviendrait de venir en début de matinée pour assister à l’éclosion des femelles, ce que je n’ai pu réaliser jusqu’à présent : bon objectif pour 2012 !
Le biotope est également intéressant par la présence d’autres espèces remarquables. À titre d’illustration, on rencontre sur les mêmes fleurs à cette époque :
– Syntomis krugeri RAGUSA, 1904 (photo 14).
– Parnassius apollo venaissimus FRUHSTORFER, 1921 (photo 15), très semblable à celui que l’on voit sur le Grand Luberon et le Mont Ventoux, aux mêmes dates et altitudes (Note de lépido-france : plusieurs auteurs aujourd’hui regroupent venaissimus et d’autres ssp. au sein d’une seule : P. apollo provincialis KHEIL, 1905)
Papilio alexanor : description & comportement
Mâles et femelles sont assez faciles à distinguer, même à comportement égal et en vol. Les mâles sont un peu plus petits, parfois minuscules (photo 9), d’un jaune plus soutenu, et avec l’apex des ailes antérieures plus étroit (photos 10, 11). Sur la photo 12 un mâle (à droite) s’invite devant l’objectif pour entreprendre sa cour. En milieu de journée, les mâles se montrent un peu plus nombreux sur les fleurs.
L’extrémité de l’abdomen des femelles est plus claire. La coloration de la tache orangée des postérieures est plus ou moins vive, et le semis d’écailles bleues sur les bandes noires post-marginales est plus ou moins marqué (en moyenne plus présent chez les femelles, voir photo 13).
Certains individus sont peu caractérisés (voir la femelle de la photo 4, à qui je trouve des attributs masculins). Les variations individuelles sont donc relativement importantes. Cependant, je n’ai pas vu de forme individuelle très marquée (à l’inverse de formes mélanisantes de P. machaon ou I. podalirius, respectivement sur la Sainte Baume ou le Luberon).
Si l’on voit souvent les mâles se chamailler, en revanche je n’ai assisté à aucun phénomène de « hill toping ». Il est vrai que le site, presque plat, s’avère peu favorable.
Conservation du biotope
Je suppose qu’une prospection sérieuse donnerait d’autres résultats dignes d’intérêt.
Il reste à souhaiter que ce milieu soit maintenu en l’état. Sur la partie non cultivée, l’évolution de la végétation paraît peu rapide à cause des conditions édaphiques (podologiques) austères. La croissance des bouquets d’arbustes est lente, et l’on n’imagine pas d’évolution brutale. En revanche, comment évoluera la partie cultivée ? J’ai le sentiment qu’elle contribue au maintien du biotope, en stimulant la reproduction de la plante hôte, par le travail mécanique du sol, et ce, bien entendu, tant qu’il n’y a pas usage de pesticides.
Ce milieu ne mérite-t-il pas une protection de type Zone Natura 2000, en convention avec le producteur de lavande par le maintien de pratiques culturales favorables à l’espèce protégée ?
Des espèces de milieux méditerranéens bénéficient d’actions volontaristes de préservation des milieux ouverts (lutte contre l’afforestation par débroussaillage mécanique et pâturage ovin piloté par l’Office National des Forêts ; par exemple, sur le Luberon, pour la vipère d’Orsini, entre autres). En Savoie, des tourbières d’altitude sont entretenues au profit, des plantes hôtes de plusieurs papillons à valeur patrimoniale (Lycaenidae, Euphydrias sp., Colias palaeno, etc…).
Alexanor est un réel sujet d’émerveillement (il a de plus le bon goût de se laisser photographier, comme d’autres Papilionidae). Dans cette partie du Vaucluse, il est en outre dans la partie la plus occidentale de son aire de répartition. Ne pourrait-on lui garantir une protection de ses biotopes, et un suivi de ses populations ?
Je serais très intéressé par l’avis de spécialistes de l’espèce (ou de cas similaires) sur ces questions. Peux-t-on imaginer pour alexanor (dont la ssp. destelensis NEL & CHAULIAC, 1983, du Var, non concernée ici) un recensement des biotopes à l’instar de celui réalisé à l’initiative de l’association Proserpine pour les Zerynthia ?
Laurent Voisin
Nouvelles photographies de 2012
Le biotope
Papilio alexanor butinant
Papilio alexanor en vol
Parade nuptiale
La ponte
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Article très intéressant.
J’étais à Lagarde-d’Apt à la même époque et n’ai pas observé alexanor.
Où exactement se situe ce biotope ?
Un peu à l’est ….
From Thanos (Greece) :
Nice pictures ! This habitat of P. a .alexanor in France is similar to the one I find the ssp. atticus in S. Greece. They readily feed on Centranthus ruber also here,the ground is rocky, too, but the altitude is lower (around 600 mts), and the best flight period (with many fresh adults) is as early as late April here (much earlier than late June-early July of your biotope) – here in early May they are already damaged. Great pictures again,recalled me my observing/collecting times with this beautiful and very local species here.
Thanos
Read more: http://insectnet.proboards.com/index.cgi?board=general&action=display&thread=1521#ixzz1Xirka6Gp
Bonjour,
Merci pour cette page riche d’informations sur P. alexanor, très intéressant.
J’ai juste une remarque anecdotique, dans la dernière partie Biotope de conservation vous écrivez « des conditions édaphiques (podologiques) austères », probablement vouliez-vous écrire « pédologiques »?
Bien cordialement
Merci pour cet article passionant.